Claude Simon géographe.

Claude Simon

Une série de 17 conférences données lors du colloque international “Claude Simon géographe” organisé par l’Équipe Littérature et Herméneutique du laboratoire Patrimoine Littérature Histoire (PLH) de l’Université Toulouse II-Le Mirail. Toulouse : Université Toulouse II-Le Mirail, 26-27 mai 2011.

L’œuvre de Claude Simon, réputée pour son rapport à l’Histoire, fait aussi une large place à la géographie, ce qui d’ailleurs n’a rien de contradictoire. L’auteur ne donne-t-il pas pour épigraphe à L’Invitation, récit d’un voyage en URSS, cette phrase de Bismarck : « Le seul facteur permanent de l’Histoire, c’est la géographie » ? Face au chaos des guerres et des révolutions, la géographie assure cette permanence où le matérialiste qu’est profondément Claude Simon trouve une forme de paix, dans l’acquiescement à un monde qui « ne signifie rien – sauf qu’il est » (Discours de Stockholm).
Certes, Simon n’est pas comme Gracq un géographe de formation. Le trajet serait plutôt inverse : non de la géographie vers l’écriture, mais de l’écriture vers la géographie. C’est en puisant à sa mémoire d’enfant, de soldat, de voyageur, qu’il en vient dans ses romans à reconstruire l’espace dans une véritable écriture de la terre. Captivé par les reliefs, les climats, la végétation, mais aussi par la topologie et la métamorphose des villes, il est de plus en plus un « écrivain géographe ». Dès Le Vent, les facteurs climatiques et urbains jouaient un rôle aussi important, voire davantage, que ce qu’il y subsistait encore d’« intrigue romanesque ». Tout le cycle de 1940 (de La Route des Flandres au Jardin des Plantes) développe le rapport de la guerre à la terre et aux territoires, que l’on retrouve aussi dans Les Géorgiques avec l’évocation des campagnes de l’ancêtre, le général L. S. M., à travers toute l’Europe, sous la Révolution et l’Empire. La ville conçue comme un grand corps vivant, mais aussi malade, qu’il s’agisse de Perpignan ou de Barcelone, est longuement évoquée d’Histoire au Tramway. Le voyage, et en particulier le voyage en avion, révèle la fascination qu’exerce sur l’écrivain la morphologie terrestre, dans Les Corps conducteurs, L’Invitation ou Le Jardin des Plantes.
L’œuvre photographique fait aussi une place significative au paysage, par exemple dans le grand « Paysage d’Espagne » d’Album d’un amateur, dans les vues aériennes de la revue Du, ou dans les visions des Corbières arides de Mythologie. La géographie peut même fournir une image de l’œuvre et de ses strates temporelles, comme la fameuse structure « en puits artésien » de La Route des Flandres, dessinée dans « La fiction mot à mot ». Quant à la figure de l’écrivain, Claude Simon la représente tantôt par l’Orion aveugle de Poussin, fondu dans le paysage comme « partie intégrante du magma de terre, de feuillage, d’eau et de ciel qui l’entoure », tantôt comme un « explorateur » se frayant un chemin « dans une contrée inconnue » et en dressant une « carte approximative » (Discours de Stockholm). Comment mieux dire que, matériellement et métaphoriquement, l’écriture a partie liée avec la géographie ? L’objet de ce colloque est donc de prendre toute la mesure de cette géographie simonienne, en tant qu’elle s’articule au monde réel, mais aussi et surtout en tant qu’elle se construit comme monde poétique, dans la rencontre entre une mémoire et un imaginaire, au « présent de l’écriture ».